Face à l’union… l’Union

La perspective d’une union des partis extrêmes européens fait peur. On peut sans doute s’en inquiéter à bon droit. Il importe surtout, cependant, de se demander comment une telle union, si peu concevable hier, apparaît aujourd’hui possible. La raison en est simple : un discours net et sans détours, une grande cohérence dans le verbe. Les partis extrêmes ont désigné leur ennemi commun, leur Némésis : l’Europe, et ses corollaires que sont la perte de souveraineté nationale et l’ouverture des frontières. La solution qu’ils proposent est radicale, élémentaire : le retour à l’état-nation, le repli sur soi, la priorité donnée aux mêmes que soi. Que l’on adhère ou non à ce discours, il a assurément le mérite de dire les choses, d’annoncer la couleur. Il trace la voie. Il est dès lors aisé pour les mouvements qui portent cette vision de notre société, et de son avenir, de rassembler, et de se rassembler. Peu importe la couleur politique initiale, peu importe le pays ou la région d’origine, ces partis et leur supporters parlent une seule et même langue : celle de la nation souveraine. C’est là leur force. C’est de là que vient leur capacité à s’unir en dépit de leur apparente diversité.

Face à eux, rien de tel. Les partis que l’on qualifiera faute de mieux de démocrates – par opposition aux nationalistes – sont loin d’afficher la même cohérence. Ils en sont encore à tenter de se positionner – Droite ? Gauche ? Centre ? Libéral ? Socialiste ? – sur un échiquier politique pourtant depuis longtemps renversé. Alors que la question même de leur survie est posée ils n’ont pas saisi que le jeu et les enjeux sont désormais ailleurs, que la donne a changé. Extrême droite et extrême gauche étaient, il y a peu encore, aux antipodes du spectre politique. Ils parlent aujourd’hui d’une seule et même voix, prêchant à l’unisson le retour à l’état-nation. Peu importe leurs divergences de vues en matière économique ou sociale. Ils ont compris que ce n’est plus sur ce terrain que se trouvent désormais les antagonismes. Depuis l’émergence d’un consensus néo-libéral c’est selon d’autres critères que se dessinent et se comptent les divisions. Emigration, souveraineté nationale, ouverture des frontières, … tels sont les mots-clés autour desquels va désormais se modeler le paysage politique. Faute de l’avoir compris, la gauche et la droite traditionnelles, figées dans leurs archaïsmes, voient leur électorat se réduire comme peau de chagrin. D’aucuns s’en alarmeront. C’est pourtant une chance. C’était en effet la condition sine qua non pour qu’un changement de paradigme puisse enfin prendre corps avec quelque chance de succès.

L’élection d’Emmanuel Macron marque à ce titre un tournant aussi crucial qu’inattendu dans la vie politique française. Pour la première fois en effet, après des décennies d’alternance gauche-droite arbitrée par les grands partis de gouvernement, un candidat à l’élection présidentielle est élu à la fonction suprême sans y avoir été porté par les appareils. Ni droite, ni gauche. La droite républicaine comme le parti socialiste, hier encore tout puissants, se voient soudain réduits à faire de la figuration.

De là à imaginer que les forces démocrates ont fait, elles aussi, leur révolution ou que, du moins, elles y sont prêtes, il n’y a qu’un pas… qu’elles ne semblent pourtant pas prêtes à franchir. Alors que le plus dur semblait fait avec l’élection d’Emmanuel Macron, et qu’un boulevard paraissait s’ouvrir devant les hérauts d’une pensée différente, force est de constater que la montagne a, pour l’heure, accouché d’une souris. Gauche comme droite tentent de se reconstruire et de se redonner une légitimité ; le président nouvellement élu est au plus bas dans les sondages, la désillusion est rampante, les observateurs sceptiques, le moral bas. La raison en est ici aussi très simple : il ne suffit pas de cesser d’être quelque chose – de gauche, de droite ; libéral, socialiste – pour qu’une forme (force) nouvelle apparaisse. Si l’on se contente de cesser d’être quelque chose et que l’on oublie de définir ce que l’on est désormais, on court alors le risque terrible de n’être tout simplement rien.

C’est aujourd’hui le cas de la Macronie et, d’une manière générale, de toutes les composantes non-nationalistes de la classe politique française. Elles se sont résolues, ou ont consenties, à se débarrasser du voile pudique que constituait le clivage droite-gauche, mais, faute de s’être trouvé de nouveaux habits, elles se trouvent désormais dans le plus simple appareil (politique), la vacuité de leur pensée et de leur vision étant exposées comme jamais au grand jour.

La solution semble pourtant s’imposer par son évidence et ce sont leurs ennemis désignés, les partis extrêmes qui, par le discours qui fonde leur union, leur en donnent la clé : l’Union Européenne.

Les partis extrêmes (extrême droite, extrême gauche) prônent le repli sur soi, le retour à l’état-nation ? Fort bien ! Que les partis démocrates proclament alors, sans ambigüité, et avec la même force, leur foi en l’Europe, en une fédération des Etats qui la composent..! Pas forcément l’Europe telle qu’elle existe aujourd’hui, d’ailleurs, mais l’Europe telle qu’ils la veulent, telle qu’ils l’envisagent, et telle qu’elle reste à construire : une Europe politique, citoyenne, écologique, humaine, sociale. Une Europe qui existe, qui s’affirme, qui revendique sa place dans le monde : celle d’un Monsieur Loyal de la planète, en vertu de son histoire, de son pluralisme culturel et de son positionnement tant géographique que politique entre Amérique, Russie et Afrique. Une Europe, aussi, qui défend et protège ses citoyens, pas seulement contre de supposés dangers extérieurs, mais davantage encore contre la toute-puissance du marché, matérialisé notamment par l’omnipotence des lobbies. Une Europe qui valorise et fait (re)vivre ses régions. Une Europe qui, enfin, travaille à son unité sans pour autant ignorer ses différences.

Cependant, face aux nuages qui s’amoncellent, face aux périls qui menacent, cela ne saurait s’accommoder d’eau tiède. Cela exige force, courage, volonté, pédagogie, et un discours qui fasse pièce à celui de partis nationalistes désormais décomplexés. Il faut se saisir de l’Europe, embrasser le projet, le revendiquer, le faire vivre, en être fier, le porter le plus haut possible. Cela ne se fera sans doute pas sans heurts mais il n’y aura de place demain que pour ceux qui auront su faire un choix. Malheur aux indécis.

Quoi qu’il en soit, après des années de grisaille – la grisaille des non choix, de l’absence de vision, d’un horizon politique limité à la seule gestion des affaires courantes – l’avenir se peindra, qu’on le veuille ou non, de couleurs éclatantes : soit un océan bleu profond sur lequel vogueront une myriade d’étoiles scintillantes, soit une kyrielle de bannières colorées brandies toujours plus haut par des petits chefs prompts à s’affirmer plus fort que leur voisin. La tentation d’un nationalisme a priori protecteur et rassurant est là, assurément, mais l’histoire nous enseigne que les oriflammes multicolores finissent souvent par se fondre pour ne plus former qu’une seule et même immense flaque rouge sang. On l’oublie un peu trop vite, et c’est à tort, mais c’est précisément pour nous protéger de cette tentation et de ces conséquences terribles qu’un certain 9 mai 1950 les Pères de L’Europe ont jeté les bases de ce qui deviendrait quelques années plus tard l’Union Européenne. Gardons cela en tête lors des prochaines échéances électorales.