Leçon

Il ne m’a pas semblé utile de faire un commentaire pré-électoral tant il y avait peu à dire et tant l’histoire paraissait écrite d’avance. Aucun enthousiasme, aucun allant, aucune dynamique, chacun se contentant d’y aller de son habituel couplet, d’aucuns pour, les autres contre, les partis nationalistes donnant encore une fois le sentiment d’être les seuls à être pleinement convaincus du message qu’ils entendaient faire passer : non à l’émigration, non à la perte de souveraineté,… Donc non à l’Europe.

A une époque où les enjeux sont si grands et l’Europe semble si loin, il y avait pourtant matière à s’investir. Il aurait fallu faire preuve de pédagogie, faire un véritable travail de fond, mobiliser institutions et médias, se montrer à l’écoute et répondre aux angoisses. Il n’en a rien été. Y-a-t-il seulement eu une campagne ? Pas que je sache. Juste une vague agitation purement politicienne et largement stérile à quelques heures d’un enjeu électoral majeur.

On ne s’étonnera donc pas de résultats qui ne font que refléter le sentiment ambiant où domine l’absence de perspective, la non prise en compte des désirs et besoins profonds de la population, l’incapacité de nos dirigeants à s’attaquer aux vrais problèmes, écologiques notamment. L’incapacité, surtout, y compris chez les supposés pro-européens, à faire vivre le projet européen, à l’animer, lui donner du sens, l’imposer par ce qui devrait être son évidence.

L’élection d’Emmanuel Macron était de nature à ouvrir une ère nouvelle. En scellant, non sans surprise ni panache, la fin du clivage gauche-droite, elle rendait possible une recomposition profonde de la vie politique française et européenne fondée sur un nouveau paradigme : européens vs nationalistes en lieu et place de gauche vs droite ou encore socialistes vs libéraux.

Si les nationalistes ont pleinement intégré cette nouvelle donne et sont peu ou prou en ordre de combat – avec les résultats que l’on sait désormais – c’est encore loin d’être le cas des forces démocrates supposément pro-européennes. Droite et gauche ont beaux être moribondes chacun s’emploie néanmoins, encore et toujours – médias compris – à s’interroger sur leur avenir, inconscients qu’ils sont que celui-ci est désormais derrière eux. Inconscients qu’ils sont que les enjeux sont désormais ailleurs, à un tout autre niveau.

S’il fait peu de doute qu’E. Macron soit un européen convaincu, comme sans doute la majorité des membres de LREM, les choses n’en demeurent pas moins équivoques et jamais, jusqu’à présent, l’Europe n’a été placée au centre, et encore moins au-dessus, de toutes autres préoccupations. Macron reste un président qui parle d’abord et avant tout au nom de « La France », qui veut surtout défendre les intérêts des « Français ». Un président d’une autre époque donc. Une époque où l’Europe était considérée avec circonspection quand elle n’était pas brandie comme un épouvantail.

Pire encore, E. Macron semble ne pas avoir pris la mesure du problème auquel les dirigeants européens sont confrontés. S’agiter et dire que l’Europe est importante, aller voir un jour A. Merkel en Allemagne et le lendemain M. Salvini en Italie ne saurait suffire à faire souffler sur l’Europe un vent nouveau, ni donner envie à ceux qui doutent. Cela ne saurait suffire à relancer une machine à bout de souffle. Cela a quelque chose de pathétique pour ne pas dire grotesque tant cela est insuffisant, tant cela revient à ignorer le fond du problème : nous n’irons pas plus loin dans la construction européenne tant que les fondations seront à ce point branlantes, tant que le projet européen restera aussi éloigné des attentes et des réalités des citoyens européens.

Politiques et journalistes méritent d’être mis dans le même sac tant ils semblent sourds et aveugles à ce qui s’impose pourtant avec tant d’évidence à l’homme de la rue : bien sûr que l’Europe est importante, bien sûr que notre avenir passe par l’Europe, bien sûr que tous ensemble nous seront infiniment plus forts que séparés, bien sûr que seule une Europe forte peut prétendre peser face à la Chine, la Russie, ou aux USA, … Cela ne fait pas débat ! Mais pas n’importe quoi, pas n’importe quelle Europe, pas une Europe de technocrates, pas une Europe de lobbyistes, pas une Europe de la finance, pas une Europe livrée aux mains des Monsanto, Philip Morris et autres Gafa.

Faute d’avoir compris cela nous en arrivons à cette situation aussi tragique qu’aberrante où le seul choix possible semble être entre 1/ accepter l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui ou 2/ en finir purement et simplement avec l’Europe. Ainsi posée la question impose malheureusement pour beaucoup une réponse sans appel : non à l’Europe, oui au repli sur soi et aux chimères nationalistes.

Comment ne pas voir qu’entre se résigner d’un côté et jeter le bébé avec l’eau du bain de l’autre il existe une 3e voie ? La seule qui vaille, la seule qui fasse sens et réponde aux attentes profondes de notre société : dire oui à l’Europe, oui à plus d’Europe, oui à une Europe fédérée, mais une Europe d’abord et avant tout différente, une Europe remise à plat, repensée, réinventée. Une Europe construite, non sur la base des préoccupations d’après-guerre mais sur celles que nous connaissons aujourd’hui : risques et problèmes liés à la mondialisation, mouvements migratoires potentiellement massifs, réchauffement climatique, mutations technologiques majeures etc. Les périls ne sont-ils donc pas encore suffisamment grands pour que cette évidence s’impose à tous ?!  

Dans plusieurs de mes posts précédents je montrais que l’élection d’Emmanuel Macron ouvrait possiblement une ère politique nouvelle marquée par la fin du clivage gauche-droite. Mais j’exposais aussi que cela ne suffirait pas, que cela n’aurait de sens que si un modèle nouveau était proposé car, comme chacun le sait, la nature a horreur du vide. Une fois les partis politiques traditionnels à genoux, comme c’est le cas aujourd’hui, si aucune voie nouvelle n’est tracée, si personne ne se préoccupe de dessiner les contours d’un monde nouveau, que peut-il advenir de bon ? Rien, assurément. La seule perspective possible, pour ne pas dire certaine, est le chaos et quand la carte de l’Europe se teinte à ce point de brun… il n’est pas loin.

M. Macron votre élection avait, en soi, valeur de promesse. Vous sembliez être l’élu, au sens plein du terme. Alors, question : qu’attendez-vous ?

Discours d’E. Macron – Chronique annoncée d’un rdv historique manqué

A l’issue de manifestations d’une rare violence E. Macron s’est exprimé solennellement ce lundi afin d’apporter des réponses à la colère née des désillusions exprimées par la crise dite des « gilets jaunes ». Après avoir pointé le caractère « historique » de la situation ainsi que la nature globale de la plupart des défis auxquels notre société était confrontée (réchauffement climatique, flux financiers, mouvements migratoires) – reprenant ainsi mot pour mot les termes de l’analyse proposée ici la semaine passée – le président s’est borné à proposer une série de mesures franco-françaises, passant ainsi totalement à côté de l’opportunité qui lui était donnée d’apporter une réponse historique à un défi qui l’est tout autant, en plaçant l’Europe au cœur du débat politique à venir.

L’analyse est une chose, la synthèse et les conclusions en sont une autre. Il est possible de voir juste et de mal conclure. La prestation d’E. Macron en ce lundi soir en est la triste illustration et il est à craindre que les semaines, les mois et peut-être même les années à venir viennent nous le rappeler cruellement.

Largement soupçonné d’être sourd et aveugle aux difficultés que rencontrent nombre de nos concitoyens, E. Macron s’est employé à faire la démonstration qu’il avait enfin pris toute la mesure de la crise auquel notre pays est confronté et nombreux seront sans doute les observateurs à constater que la tâche a, de ce point de vue, été menée à bien. L’analyse tout autant que le ton étaient justes, la conviction et la volonté semblaient sincères. Un état exhaustif des problèmes a été dressé avec l’objectif manifeste de montrer que la profondeur du malaise avait bien été comprise, que les doléances avaient été entendues et que personne ne serait oublié. Des dispositions urgentes allaient être prises en faveur des plus faibles – femmes seules, retraités, ménages modestes – de même que des sanctions à l’encontre de ceux qui ne jouent pas le jeu – fraudeurs, mauvais payeurs. Les grandes entreprises elles-mêmes, jusque-là choyées, allaient devoir rendre des comptes… Ne manquait plus qu’un retentissant « Je vous ai compris » pour que le tableau soit parfait.

Afin de souligner la gravité et la solennité du moment le président n’a pas manqué d’insister sur le caractère historique de la situation, concluant sur la nécessité d’une grande consultation et d’un grand rassemblement. Mais,très étonnamment, après avoir pourtant remarqué que de nombreux pays étaient confrontés aux mêmes problèmes, pointé le fait que les défis auxquels nous devons faire face sont d’une nature planétaire et même constaté que la France avait toujours eu vocation à montrer le chemin « au monde », E. Macron s’est finalement borné à indiquer qu’il allait consulter « les français », se battre « pour la France », établir un nouveau contrat « pour la nation », pour terminer classiquement sur le très traditionnel et très opportun « Vive la république et vive la France ».

SI l’on ne peut que louer ici la volonté manifeste des communicants de l’Elysée de reconquérir le plus grand nombre possible de celles et ceux qui pourraient être tenté(es) par les sirènes des partis extrêmes lors des prochaines européennes, on ne peut par contre qu’être atterré de voir à quel point cela les aura fait passer – et le président avec eux – à côté du défi historique qui s’offrait à eux.

Certes il convenait de faire savoir aux français qu’ils avaient été entendus et que des mesures concrètes allaient être prises afin de soulager rapidement et concrètement les plus défavorisés. Certes il était sans doute pertinent de faire amende honorable en reconnaissant les erreurs qui avaient pu être commises. Mais il fallait aussi et surtout faire preuve de vision et de pédagogie, en rappelant que seule une réponse globale, à l’échelle européenne, était à même de résoudre des problèmes qui sont eux-mêmes d’une nature globale.

Il était essentiel de démonter point par point la rhétorique nationaliste et de montrer de manière très concrète la nécessité absolue d’aller chercher à l’échelle européenne des solutions qui ne sauraient être nationales, quitte pour cela à repenser l’Europe. Tout le contraire donc de ce qui a été annoncé.

E. Macron aurait déclaré qu’il serait dès le lendemain à Bonn afin de lancer avec la chancelière allemande un état d’urgence économique et social, non pas national, mais binational, et que l’un comme l’autre consacreraient ensuite les prochaines semaines à convaincre les autres leaders européens quant à la nécessité de réunir rapidement des états généraux de l’Europe cela aurait été de nature, non seulement à stopper net un mouvement social aux développements qui restent encore aujourd’hui inconnus, mais aussi à provoquer un choc tel dans l’opinion que l’équilibre des forces aurait pu s’en trouver totalement inversé, le péril d’hier se muant instantanément en la chance de demain.  C’est cela qui s’appelle relever un défi historique et c’est en cela qu’E. Macron a manqué son rendez-vous avec l’histoire. Les plus frileux s’en réjouiront sans doute. Les plus visionnaires ne pourront que le déplorer, voire en être effrayés. C’est le cas de l’auteur de ce blog.

Le défi des prochaines élections européennes

Alors que les élections européennes approchent les derniers sondages s’annoncent catastrophiques pour tous les partis autres que nationalistes. Comment s’en étonner ? Dans mon papier précédent j’explicite pourquoi les partis extrêmes ont aujourd’hui la capacité de s’unir et pourquoi les forces démocrates s’effondrent. Les partis extrêmes ont fait du nationalisme et du retour à l’état-nation leur cheval de bataille. Et ils ont désigné leur Némésis : l’Europe. On peut, ou non, être d’accord avec leurs thèses. Au moins cela a-t-il le mérite d’être clair. Non à l’Europe, non à l’ouverture des frontières.

En face, rien de tel. Les partis démocrates rivalisent dans la dérobade. L’Europe est pour eux un non sujet. Trop risqué.  Droite et gauche restant traversées de courants opposés allant du plus pro-européen au plus pro-sceptique le plus sage reste – paradoxalement – pour elles de ne pas aborder la thématique européenne. Alors, à une heure où l’Europe est pourtant l’enjeu majeur des années à venir, droite et gauche démocratiques laissent la question à distance dans l’unique but de ne pas se diviser davantage. Du pain béni pour les partis nationalistes qui, eux, ont clairement choisi leur camp. Le résultat se juge dès à présent dans les sondages et se mesurera demain dans les urnes.

Pour contrer les partis nationalistes la seule solution serait pourtant de tenir un langage aussi clair que le leur : oui à l’Europe. Clair, net et précis. Quitte à préciser ensuite de quelle Europe on parle. Quitte à en faire un vrai objet de débat. Quitte à faire bouger les lignes. Les partis démocrates doivent s’unir, eux aussi. Et le vecteur de leur union ne peut être que l’Europe. Face au risque nationaliste la seule réponse possible est le fédéralisme, le projet européen. Mais là où les partis nationalistes se bornent à clamer leur haine de Bruxelles, les forces démocrates doivent se montrer constructives, elles doivent faire preuve de pédagogie, seule arme possible pour faire pièce à la démagogie.

Expliquer l’Europe, donner envie, (ré)susciter le rêve européen, ne pas hésiter à pointer les erreurs du passé, en montrer les causes et apporter des propositions concrètes pour que le projet retrouve du sens. L’Europe est tout sauf figée, gravée dans le marbre. C’est un projet en devenir. Un projet qui reste à construire et dans lequel les citoyens doivent pouvoir se projeter. Rien, ou si peu, ayant été fait en ce sens jusqu’à présent c’est aussi un formidable défi sur lequel j’aurai l’occasion de revenir prochainement.

Le mieux placé pour le relever semble être le président nouvellement élu, Emmanuel Macron. S’étant dès à présent affranchi avec succès du clivage droite-gauche il lui reste à donner du sens à sa propre élection. Se déclarer ni de gauche ni de droite ne saurait suffire à former un projet politique, une vision. Européen convaincu, M. Macron ne peut s’offrir le luxe d’être timoré. Et il n’a strictement aucune raison de l’être. A lui de brandir l’étendard européen. A lui de mobiliser les forces pro-européennes, tant en France qu’au-delà des frontières en suscitant une union transnationale des partis opposés à la tentation nationaliste. Son seul risque ? Passer à la postérité pour avoir été l’homme politique qui sera parvenu à imposer un nouveau paradigme, à (re)placer l’Europe au centre du débat politique après qu’elle en ait été soigneusement écartée pendant 50 ans . Un acte aux conséquences incommensurables. Ce sera l’objet d’un prochain article sur ce blog.

Faute d’une telle initiative le risque  auquel s’expose la communauté européenne est celui d’une montée en puissance des eurosceptiques au parlement européen avec à la clé une paralysie encore plus grande des institutions, une Europe sans perspectives, toujours plus éloignées des citoyens, toujours plus livrée aux puissances financières et à l’interventionnisme des multinationales. Une Europe technocratique toujours plus conforme à l’image que nous en avons et telle que bien peu d’entre nous la souhaitent. Il appartient aux politiques, aux médias et aux institutions européennes elles-mêmes de se mobiliser en proportion du défi qui est face à eux, et aux citoyens d’aller voter massivement quitte à se faire violence. Non l’Europe ne fait pas (encore) rêver mais le rêve n’en est pas moins à portée de main. La main qui met le bulletin dans l’urne. Peut-être pas suffisant pour que le rêve devienne tout de suite réalité mais assurément nécessaire pour qu’il ne disparaisse pas tout à fait…

Face à l’union… l’Union

La perspective d’une union des partis extrêmes européens fait peur. On peut sans doute s’en inquiéter à bon droit. Il importe surtout, cependant, de se demander comment une telle union, si peu concevable hier, apparaît aujourd’hui possible. La raison en est simple : un discours net et sans détours, une grande cohérence dans le verbe. Les partis extrêmes ont désigné leur ennemi commun, leur Némésis : l’Europe, et ses corollaires que sont la perte de souveraineté nationale et l’ouverture des frontières. La solution qu’ils proposent est radicale, élémentaire : le retour à l’état-nation, le repli sur soi, la priorité donnée aux mêmes que soi. Que l’on adhère ou non à ce discours, il a assurément le mérite de dire les choses, d’annoncer la couleur. Il trace la voie. Il est dès lors aisé pour les mouvements qui portent cette vision de notre société, et de son avenir, de rassembler, et de se rassembler. Peu importe la couleur politique initiale, peu importe le pays ou la région d’origine, ces partis et leur supporters parlent une seule et même langue : celle de la nation souveraine. C’est là leur force. C’est de là que vient leur capacité à s’unir en dépit de leur apparente diversité.

Face à eux, rien de tel. Les partis que l’on qualifiera faute de mieux de démocrates – par opposition aux nationalistes – sont loin d’afficher la même cohérence. Ils en sont encore à tenter de se positionner – Droite ? Gauche ? Centre ? Libéral ? Socialiste ? – sur un échiquier politique pourtant depuis longtemps renversé. Alors que la question même de leur survie est posée ils n’ont pas saisi que le jeu et les enjeux sont désormais ailleurs, que la donne a changé. Extrême droite et extrême gauche étaient, il y a peu encore, aux antipodes du spectre politique. Ils parlent aujourd’hui d’une seule et même voix, prêchant à l’unisson le retour à l’état-nation. Peu importe leurs divergences de vues en matière économique ou sociale. Ils ont compris que ce n’est plus sur ce terrain que se trouvent désormais les antagonismes. Depuis l’émergence d’un consensus néo-libéral c’est selon d’autres critères que se dessinent et se comptent les divisions. Emigration, souveraineté nationale, ouverture des frontières, … tels sont les mots-clés autour desquels va désormais se modeler le paysage politique. Faute de l’avoir compris, la gauche et la droite traditionnelles, figées dans leurs archaïsmes, voient leur électorat se réduire comme peau de chagrin. D’aucuns s’en alarmeront. C’est pourtant une chance. C’était en effet la condition sine qua non pour qu’un changement de paradigme puisse enfin prendre corps avec quelque chance de succès.

L’élection d’Emmanuel Macron marque à ce titre un tournant aussi crucial qu’inattendu dans la vie politique française. Pour la première fois en effet, après des décennies d’alternance gauche-droite arbitrée par les grands partis de gouvernement, un candidat à l’élection présidentielle est élu à la fonction suprême sans y avoir été porté par les appareils. Ni droite, ni gauche. La droite républicaine comme le parti socialiste, hier encore tout puissants, se voient soudain réduits à faire de la figuration.

De là à imaginer que les forces démocrates ont fait, elles aussi, leur révolution ou que, du moins, elles y sont prêtes, il n’y a qu’un pas… qu’elles ne semblent pourtant pas prêtes à franchir. Alors que le plus dur semblait fait avec l’élection d’Emmanuel Macron, et qu’un boulevard paraissait s’ouvrir devant les hérauts d’une pensée différente, force est de constater que la montagne a, pour l’heure, accouché d’une souris. Gauche comme droite tentent de se reconstruire et de se redonner une légitimité ; le président nouvellement élu est au plus bas dans les sondages, la désillusion est rampante, les observateurs sceptiques, le moral bas. La raison en est ici aussi très simple : il ne suffit pas de cesser d’être quelque chose – de gauche, de droite ; libéral, socialiste – pour qu’une forme (force) nouvelle apparaisse. Si l’on se contente de cesser d’être quelque chose et que l’on oublie de définir ce que l’on est désormais, on court alors le risque terrible de n’être tout simplement rien.

C’est aujourd’hui le cas de la Macronie et, d’une manière générale, de toutes les composantes non-nationalistes de la classe politique française. Elles se sont résolues, ou ont consenties, à se débarrasser du voile pudique que constituait le clivage droite-gauche, mais, faute de s’être trouvé de nouveaux habits, elles se trouvent désormais dans le plus simple appareil (politique), la vacuité de leur pensée et de leur vision étant exposées comme jamais au grand jour.

La solution semble pourtant s’imposer par son évidence et ce sont leurs ennemis désignés, les partis extrêmes qui, par le discours qui fonde leur union, leur en donnent la clé : l’Union Européenne.

Les partis extrêmes (extrême droite, extrême gauche) prônent le repli sur soi, le retour à l’état-nation ? Fort bien ! Que les partis démocrates proclament alors, sans ambigüité, et avec la même force, leur foi en l’Europe, en une fédération des Etats qui la composent..! Pas forcément l’Europe telle qu’elle existe aujourd’hui, d’ailleurs, mais l’Europe telle qu’ils la veulent, telle qu’ils l’envisagent, et telle qu’elle reste à construire : une Europe politique, citoyenne, écologique, humaine, sociale. Une Europe qui existe, qui s’affirme, qui revendique sa place dans le monde : celle d’un Monsieur Loyal de la planète, en vertu de son histoire, de son pluralisme culturel et de son positionnement tant géographique que politique entre Amérique, Russie et Afrique. Une Europe, aussi, qui défend et protège ses citoyens, pas seulement contre de supposés dangers extérieurs, mais davantage encore contre la toute-puissance du marché, matérialisé notamment par l’omnipotence des lobbies. Une Europe qui valorise et fait (re)vivre ses régions. Une Europe qui, enfin, travaille à son unité sans pour autant ignorer ses différences.

Cependant, face aux nuages qui s’amoncellent, face aux périls qui menacent, cela ne saurait s’accommoder d’eau tiède. Cela exige force, courage, volonté, pédagogie, et un discours qui fasse pièce à celui de partis nationalistes désormais décomplexés. Il faut se saisir de l’Europe, embrasser le projet, le revendiquer, le faire vivre, en être fier, le porter le plus haut possible. Cela ne se fera sans doute pas sans heurts mais il n’y aura de place demain que pour ceux qui auront su faire un choix. Malheur aux indécis.

Quoi qu’il en soit, après des années de grisaille – la grisaille des non choix, de l’absence de vision, d’un horizon politique limité à la seule gestion des affaires courantes – l’avenir se peindra, qu’on le veuille ou non, de couleurs éclatantes : soit un océan bleu profond sur lequel vogueront une myriade d’étoiles scintillantes, soit une kyrielle de bannières colorées brandies toujours plus haut par des petits chefs prompts à s’affirmer plus fort que leur voisin. La tentation d’un nationalisme a priori protecteur et rassurant est là, assurément, mais l’histoire nous enseigne que les oriflammes multicolores finissent souvent par se fondre pour ne plus former qu’une seule et même immense flaque rouge sang. On l’oublie un peu trop vite, et c’est à tort, mais c’est précisément pour nous protéger de cette tentation et de ces conséquences terribles qu’un certain 9 mai 1950 les Pères de L’Europe ont jeté les bases de ce qui deviendrait quelques années plus tard l’Union Européenne. Gardons cela en tête lors des prochaines échéances électorales.