Le défi des prochaines élections européennes

Alors que les élections européennes approchent les derniers sondages s’annoncent catastrophiques pour tous les partis autres que nationalistes. Comment s’en étonner ? Dans mon papier précédent j’explicite pourquoi les partis extrêmes ont aujourd’hui la capacité de s’unir et pourquoi les forces démocrates s’effondrent. Les partis extrêmes ont fait du nationalisme et du retour à l’état-nation leur cheval de bataille. Et ils ont désigné leur Némésis : l’Europe. On peut, ou non, être d’accord avec leurs thèses. Au moins cela a-t-il le mérite d’être clair. Non à l’Europe, non à l’ouverture des frontières.

En face, rien de tel. Les partis démocrates rivalisent dans la dérobade. L’Europe est pour eux un non sujet. Trop risqué.  Droite et gauche restant traversées de courants opposés allant du plus pro-européen au plus pro-sceptique le plus sage reste – paradoxalement – pour elles de ne pas aborder la thématique européenne. Alors, à une heure où l’Europe est pourtant l’enjeu majeur des années à venir, droite et gauche démocratiques laissent la question à distance dans l’unique but de ne pas se diviser davantage. Du pain béni pour les partis nationalistes qui, eux, ont clairement choisi leur camp. Le résultat se juge dès à présent dans les sondages et se mesurera demain dans les urnes.

Pour contrer les partis nationalistes la seule solution serait pourtant de tenir un langage aussi clair que le leur : oui à l’Europe. Clair, net et précis. Quitte à préciser ensuite de quelle Europe on parle. Quitte à en faire un vrai objet de débat. Quitte à faire bouger les lignes. Les partis démocrates doivent s’unir, eux aussi. Et le vecteur de leur union ne peut être que l’Europe. Face au risque nationaliste la seule réponse possible est le fédéralisme, le projet européen. Mais là où les partis nationalistes se bornent à clamer leur haine de Bruxelles, les forces démocrates doivent se montrer constructives, elles doivent faire preuve de pédagogie, seule arme possible pour faire pièce à la démagogie.

Expliquer l’Europe, donner envie, (ré)susciter le rêve européen, ne pas hésiter à pointer les erreurs du passé, en montrer les causes et apporter des propositions concrètes pour que le projet retrouve du sens. L’Europe est tout sauf figée, gravée dans le marbre. C’est un projet en devenir. Un projet qui reste à construire et dans lequel les citoyens doivent pouvoir se projeter. Rien, ou si peu, ayant été fait en ce sens jusqu’à présent c’est aussi un formidable défi sur lequel j’aurai l’occasion de revenir prochainement.

Le mieux placé pour le relever semble être le président nouvellement élu, Emmanuel Macron. S’étant dès à présent affranchi avec succès du clivage droite-gauche il lui reste à donner du sens à sa propre élection. Se déclarer ni de gauche ni de droite ne saurait suffire à former un projet politique, une vision. Européen convaincu, M. Macron ne peut s’offrir le luxe d’être timoré. Et il n’a strictement aucune raison de l’être. A lui de brandir l’étendard européen. A lui de mobiliser les forces pro-européennes, tant en France qu’au-delà des frontières en suscitant une union transnationale des partis opposés à la tentation nationaliste. Son seul risque ? Passer à la postérité pour avoir été l’homme politique qui sera parvenu à imposer un nouveau paradigme, à (re)placer l’Europe au centre du débat politique après qu’elle en ait été soigneusement écartée pendant 50 ans . Un acte aux conséquences incommensurables. Ce sera l’objet d’un prochain article sur ce blog.

Faute d’une telle initiative le risque  auquel s’expose la communauté européenne est celui d’une montée en puissance des eurosceptiques au parlement européen avec à la clé une paralysie encore plus grande des institutions, une Europe sans perspectives, toujours plus éloignées des citoyens, toujours plus livrée aux puissances financières et à l’interventionnisme des multinationales. Une Europe technocratique toujours plus conforme à l’image que nous en avons et telle que bien peu d’entre nous la souhaitent. Il appartient aux politiques, aux médias et aux institutions européennes elles-mêmes de se mobiliser en proportion du défi qui est face à eux, et aux citoyens d’aller voter massivement quitte à se faire violence. Non l’Europe ne fait pas (encore) rêver mais le rêve n’en est pas moins à portée de main. La main qui met le bulletin dans l’urne. Peut-être pas suffisant pour que le rêve devienne tout de suite réalité mais assurément nécessaire pour qu’il ne disparaisse pas tout à fait…

Face à l’union… l’Union

La perspective d’une union des partis extrêmes européens fait peur. On peut sans doute s’en inquiéter à bon droit. Il importe surtout, cependant, de se demander comment une telle union, si peu concevable hier, apparaît aujourd’hui possible. La raison en est simple : un discours net et sans détours, une grande cohérence dans le verbe. Les partis extrêmes ont désigné leur ennemi commun, leur Némésis : l’Europe, et ses corollaires que sont la perte de souveraineté nationale et l’ouverture des frontières. La solution qu’ils proposent est radicale, élémentaire : le retour à l’état-nation, le repli sur soi, la priorité donnée aux mêmes que soi. Que l’on adhère ou non à ce discours, il a assurément le mérite de dire les choses, d’annoncer la couleur. Il trace la voie. Il est dès lors aisé pour les mouvements qui portent cette vision de notre société, et de son avenir, de rassembler, et de se rassembler. Peu importe la couleur politique initiale, peu importe le pays ou la région d’origine, ces partis et leur supporters parlent une seule et même langue : celle de la nation souveraine. C’est là leur force. C’est de là que vient leur capacité à s’unir en dépit de leur apparente diversité.

Face à eux, rien de tel. Les partis que l’on qualifiera faute de mieux de démocrates – par opposition aux nationalistes – sont loin d’afficher la même cohérence. Ils en sont encore à tenter de se positionner – Droite ? Gauche ? Centre ? Libéral ? Socialiste ? – sur un échiquier politique pourtant depuis longtemps renversé. Alors que la question même de leur survie est posée ils n’ont pas saisi que le jeu et les enjeux sont désormais ailleurs, que la donne a changé. Extrême droite et extrême gauche étaient, il y a peu encore, aux antipodes du spectre politique. Ils parlent aujourd’hui d’une seule et même voix, prêchant à l’unisson le retour à l’état-nation. Peu importe leurs divergences de vues en matière économique ou sociale. Ils ont compris que ce n’est plus sur ce terrain que se trouvent désormais les antagonismes. Depuis l’émergence d’un consensus néo-libéral c’est selon d’autres critères que se dessinent et se comptent les divisions. Emigration, souveraineté nationale, ouverture des frontières, … tels sont les mots-clés autour desquels va désormais se modeler le paysage politique. Faute de l’avoir compris, la gauche et la droite traditionnelles, figées dans leurs archaïsmes, voient leur électorat se réduire comme peau de chagrin. D’aucuns s’en alarmeront. C’est pourtant une chance. C’était en effet la condition sine qua non pour qu’un changement de paradigme puisse enfin prendre corps avec quelque chance de succès.

L’élection d’Emmanuel Macron marque à ce titre un tournant aussi crucial qu’inattendu dans la vie politique française. Pour la première fois en effet, après des décennies d’alternance gauche-droite arbitrée par les grands partis de gouvernement, un candidat à l’élection présidentielle est élu à la fonction suprême sans y avoir été porté par les appareils. Ni droite, ni gauche. La droite républicaine comme le parti socialiste, hier encore tout puissants, se voient soudain réduits à faire de la figuration.

De là à imaginer que les forces démocrates ont fait, elles aussi, leur révolution ou que, du moins, elles y sont prêtes, il n’y a qu’un pas… qu’elles ne semblent pourtant pas prêtes à franchir. Alors que le plus dur semblait fait avec l’élection d’Emmanuel Macron, et qu’un boulevard paraissait s’ouvrir devant les hérauts d’une pensée différente, force est de constater que la montagne a, pour l’heure, accouché d’une souris. Gauche comme droite tentent de se reconstruire et de se redonner une légitimité ; le président nouvellement élu est au plus bas dans les sondages, la désillusion est rampante, les observateurs sceptiques, le moral bas. La raison en est ici aussi très simple : il ne suffit pas de cesser d’être quelque chose – de gauche, de droite ; libéral, socialiste – pour qu’une forme (force) nouvelle apparaisse. Si l’on se contente de cesser d’être quelque chose et que l’on oublie de définir ce que l’on est désormais, on court alors le risque terrible de n’être tout simplement rien.

C’est aujourd’hui le cas de la Macronie et, d’une manière générale, de toutes les composantes non-nationalistes de la classe politique française. Elles se sont résolues, ou ont consenties, à se débarrasser du voile pudique que constituait le clivage droite-gauche, mais, faute de s’être trouvé de nouveaux habits, elles se trouvent désormais dans le plus simple appareil (politique), la vacuité de leur pensée et de leur vision étant exposées comme jamais au grand jour.

La solution semble pourtant s’imposer par son évidence et ce sont leurs ennemis désignés, les partis extrêmes qui, par le discours qui fonde leur union, leur en donnent la clé : l’Union Européenne.

Les partis extrêmes (extrême droite, extrême gauche) prônent le repli sur soi, le retour à l’état-nation ? Fort bien ! Que les partis démocrates proclament alors, sans ambigüité, et avec la même force, leur foi en l’Europe, en une fédération des Etats qui la composent..! Pas forcément l’Europe telle qu’elle existe aujourd’hui, d’ailleurs, mais l’Europe telle qu’ils la veulent, telle qu’ils l’envisagent, et telle qu’elle reste à construire : une Europe politique, citoyenne, écologique, humaine, sociale. Une Europe qui existe, qui s’affirme, qui revendique sa place dans le monde : celle d’un Monsieur Loyal de la planète, en vertu de son histoire, de son pluralisme culturel et de son positionnement tant géographique que politique entre Amérique, Russie et Afrique. Une Europe, aussi, qui défend et protège ses citoyens, pas seulement contre de supposés dangers extérieurs, mais davantage encore contre la toute-puissance du marché, matérialisé notamment par l’omnipotence des lobbies. Une Europe qui valorise et fait (re)vivre ses régions. Une Europe qui, enfin, travaille à son unité sans pour autant ignorer ses différences.

Cependant, face aux nuages qui s’amoncellent, face aux périls qui menacent, cela ne saurait s’accommoder d’eau tiède. Cela exige force, courage, volonté, pédagogie, et un discours qui fasse pièce à celui de partis nationalistes désormais décomplexés. Il faut se saisir de l’Europe, embrasser le projet, le revendiquer, le faire vivre, en être fier, le porter le plus haut possible. Cela ne se fera sans doute pas sans heurts mais il n’y aura de place demain que pour ceux qui auront su faire un choix. Malheur aux indécis.

Quoi qu’il en soit, après des années de grisaille – la grisaille des non choix, de l’absence de vision, d’un horizon politique limité à la seule gestion des affaires courantes – l’avenir se peindra, qu’on le veuille ou non, de couleurs éclatantes : soit un océan bleu profond sur lequel vogueront une myriade d’étoiles scintillantes, soit une kyrielle de bannières colorées brandies toujours plus haut par des petits chefs prompts à s’affirmer plus fort que leur voisin. La tentation d’un nationalisme a priori protecteur et rassurant est là, assurément, mais l’histoire nous enseigne que les oriflammes multicolores finissent souvent par se fondre pour ne plus former qu’une seule et même immense flaque rouge sang. On l’oublie un peu trop vite, et c’est à tort, mais c’est précisément pour nous protéger de cette tentation et de ces conséquences terribles qu’un certain 9 mai 1950 les Pères de L’Europe ont jeté les bases de ce qui deviendrait quelques années plus tard l’Union Européenne. Gardons cela en tête lors des prochaines échéances électorales.