Ce que nous dit la crise des gilets jaunes

Le mouvement des gilets jaunes est le symptôme d’un mécontentement à la mesure des espoirs que l’élection d’E. Macron avait fait naître. Plus les promesses sont grandes, plus les attentes sont fortes et plus le risque de déception est important. Mais l’essentiel du problème n’est pas là. Il trouve sa source dans l’absence de vision dont semble faire preuve l’équipe dirigeante en place, et donc dans l’absence de perspectives offertes aux couches sociales les plus fragiles. Parvenir à se faire élire à la barbe des grands appareils politiques était un tour de force, mais cela ne suffisait pas. A supposer que le clivage gauche-droite ait vécu, un nouveau modèle restait à inventer. Faute d’avoir su tracer de nouvelles perspectives et esquisser les contours d’un nouveau modèle politique le président doit aujourd’hui faire face à un vide qu’il a lui-même créé. Et, chacun le sait, la nature a horreur du vide.

Parvenu, contre toute attente, à tordre le cou au système des appareils, élu plus jeune président de la Ve république, formant un couple inédit avec une femme atypique, bel homme, charmeur, et à ce titre souvent comparé à Justin Trudeau, voire à John Kennedy, E. Macron avait clairement le profil de l’homme providentiel,  de l’enfant prodige, de celui dont on accepte à peu près tout, mais dont on attend aussi beaucoup.

Cela lui aura permis d’enclencher, sans coup férir, toute une série de mesures et de réformes sur lesquelles ses prédécesseurs s’étaient auparavant cassé les dents. Les choses paraissaient donc aller dans le bon sens. Las ! Dépoussiérer la fiscalité ou le code du travail, redonner un peu d’air à des entreprises qui en avaient bien besoin, tout cela avait beau sembler nécessaire et pouvait faire consensus, cela n’en ressemblait pas moins à une politique « de droite » qui ne pouvait durablement emporter l’adhésion que si elle s’accompagnait de résultats forts, perceptibles par l’ensemble des citoyens dans leur vie quotidienne,ou encore de mesures permettant aux plus modestes et aux plus fragiles d’espérer en un avenir meilleur.

Dans un cas comme dans l’autre il n’en a rien été. Les réformes engagées, aussi utiles soient elles, ne porteront leurs fruits, dans le meilleur des cas, que dans plusieurs années, et rien n’a été fait par ailleurs qui soit de nature à améliorer la vie de la majorité des français au point de leur permettre d’accepter ce qui a été le plus souvent perçu comme des« cadeaux » faits aux patrons et aux plus favorisés. D’où la soudaine flambée de violence qui en l’espace de quelques semaines a embrasé le pays. Même si cette violence n’est pas le fait des gilets jaunes eux-mêmes, il n’en demeure pas moins que le ras-le-bol était là, qu’il était patent, et que l’insatisfaction était à la mesure des attentes qui, encore une fois, étaient immenses.

« Monsieur Macron, nous vous avons laissé mener à bien des réformes impopulaires, souvent douloureuses ; nous vous avons laissé faire des cadeaux aux « riches » – chose que nous avions refusée à vos prédécesseurs – mais nous, les petits,  qu’avez-vous fait pour nous ? Quels espoirs nous avez-vous donnés ? Quelles perspectives avons-nous ? ». Voilà les questions que pose ce mouvement populaire qui, par sa forme, répond étonnamment au mouvement engagé par E.Macron. Élu en dehors des appareils, il doit aujourd’hui faire face à une fronde qui, elle-même, est hors des appareils, partis politiques traditionnels comme syndicats de salariés ayant en commun d’être désormais totalement disqualifiés et donc largement inaudibles. Cela est à la fois une formidable nouvelle dans la mesure où notre société dispose aujourd’hui clairement des moyens lui permettant d’écrire une page nouvelle de son histoire – à ce titre l’époque doit être considérée comme historique au sens plein du terme – mais cela est aussi extraordinairement dangereux car dans un tel contexte tout est possible,le meilleur comme le pire. Et si l’on y prend garde le pire pourrait, lui aussi, être historique.

La réponse ne saurait donc tenir dans des demi-mesures, dans des réformes à la marge. Le passé ne saurait être la réponse. Il faut se tourner vers l’avenir et regarder loin, et haut, afin d’être à la hauteur des attentes et des défis.

Dans le monde que nous connaissons aujourd’hui, un monde ouvert, interconnecté, où la plupart des enjeux sont planétaires –réchauffement climatique, nouvelles énergies, mouvements migratoires à grande échelle, … – seules des entités vastes et puissantes (l’Europe, les USA, la Chine) sont en mesure d’apporter des réponses à la mesure des enjeux. Penser que le repli sur soi (fermeture des frontières) ou que la gestion à l’échelle de nations telles que la France, l’Allemagne, ou l’Italie peut être une solution est totalement illusoire. Imaginer que des réponses franco-françaises sont possibles l’est tout autant.

E. Macron c’est clairement posé en européen convaincu et il n’a eu de cesse, depuis son élection, de se tourner vers l’Allemagne et d’autres pays encore afin de rappeler la nécessité d’actions communes. Tout cela est bien mais, dans l’environnement que nous connaissons, étant donné la profondeur de l’ornière dans laquelle l’Europe est enlisée depuis tant d’années, cela ne saurait être suffisant. L’époque n’est clairement plus aux déclarations de principe ni aux formules creuses. Il faut prendre le taureau par les cornes,aller au fond des choses, poser les vrais problèmes.

Rebattre les cartes est bien, s’affranchir des anciennes règles peut être une bonne chose, mais à la condition d’en fixer de nouvelles,et de définir quels sont les joueurs admis à la table. Et là il n’en est rien. Les partis politiques traditionnels sont exsangues, les syndicats sont défaits, le clivage gauche-droite a vécu… Du passé nous avons donc, pour une large part,fait table rase. Mais quid de l’avenir, du futur ? Quel est le nouveau cap ?

Les extrêmes ont, pour leur part, déjà apporté leur réponse. Elles sont dès à présent en ordre de combat avec un seul mot d’ordre, commun à la gauche comme à la droite : ferme les frontières et revenir à l’Etat-nation.Il s’agit là d’un changement profond dont il importe de prendre la mesure. Alors qu’ils défendaient jusqu’à présent des visions radicalement opposées de l’économie,les partis extrêmes font désormais cause commune en partageant une vision identique sur le plan géopolitique fondée sur le nationalisme. Que l’on soit pour ou contre le modèle que ces partis proposent cela n’en est pas moins intéressant. Au moins leurs objectifs sont-ils clairs. Extrême droite et extrême gauche proposent une vision commune de la société et du monde. Non à l’Europe,non au partage, à l’échange, à la mise en commun. Chacun pour soi à l’intérieur de frontières aussi imperméables que possible.

Dès lors, la seule réponse possible des forces démocrates et républicaines est de promouvoir une vision ambitieuse de l’Europe. Non pas l’Europe bricolée que nous connaissons aujourd’hui, non pas le « machin »moqué par de Gaulle ni davantage l’épouvantail brandi par Chirac pour s’assurer les faveurs d’un électorat essentiellement composé de petits patrons, d’agriculteurs ou de retraités frileux, non. Une Europe qui reste entièrement à (re)penser età (re)construire. Une Europe qui ne soit pas laissée aux mains de technocrates obscurs, mais une Europe qui, au contraire, brille, flamboie, et fait entendre sa voix. Une Europe dynamique, vivante, porteuse d’espoirs. Une Europe volontaire,une Europe des peuples. Une Europe ayant la volonté et la capacité de faire jeu égal avec les Etats-Unis, la Russie, la Chine, et demain l’Inde, l’Afrique…

Non seulement cela est vital mais cela EST la réponse aux attentes de nos concitoyens car cela trace les perspectives et dessine les horizons qui aujourd’hui font défaut. Le chantier est pharaonique mais les gains à en attendre le sont tout autant. Le défi est passionnant, fabuleux,comme peu d’hommes et de femmes auront eu l’occasion d’en connaitre au cours de leur vie. Cela nous renvoie, faute de meilleur exemple, à l’époque des grandes explorations, des grandes découvertes. A la conquête du Nouveau Monde. Car en dépit de son passé la « vieille » Europe reste un monde à découvrir et conquérir.

Cela impose de revoir notre modèle de société, notre système éducatif, nos instituions, notre vision du monde. Cela est, enfin, à la hauteur des grands défis dont nous ne cessons d’entendre parler mais face auxquels nous nous sentons tellement démunis : réchauffement climatique, mouvements migratoires, flux incontrôlés de capitaux, énergies nouvelles, conquête spatiale,… De quoi mobiliser et enthousiasmer de nombreuses générations de français,allemands, italiens, slovaques, grecs, … De quoi conférer, enfin, à la vieille Europe le statut qui n’aurait jamais dû cesser d’être le sien : celui d’un référent, d’un Monsieur Loyal, d’un sage. Celui d’une puissance susceptible de faire jeu égal avec les autres grandes puissances de la planète mais avec un atout de taille : l’Europe n’a pas, ou plus, vocation à conquérir le monde, les états qui la composent l’ayant déjà fait il y a longtemps. A l’inverse d’autres grandes puissances, l’Europe n’a donc pas de velléités ni de vocations impérialistes. Le défi de l’Europe est de se conquérir elle-même, de se trouver après s’être tellement cherchée.

Voilà le challenge qui s’offre à E. Macron puisque les hasards de l’Histoire ont voulu que ce soit lui. Cela l’oblige. Le peuple est dans la rue et exige. C’est à bon droit. L’élection d’E. Macron a bouleversé le jeu politique. C’était son vœu et il a été exhaussé au-delà de tout espoir. C’est donc à lui qu’il appartient désormais d’aller au bout de la démarche et apportant,non seulement une réponse aux mouvements sociaux qui agitent le pays mais aussi, et surtout, en mobilisant les forces démocratiques autour du projet européen. La réalité du péril nationaliste l’exige, tout autant que la dimension planétaire de la majorité des défis auxquels nous devons aujourd’hui faire face.

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